Les réseaux sociaux, nouveaux partenaires des Etats pour la vie politique ?
Billet de blogue proposé par Maxime Guénette (EBSI) et Audrey Lebeau (EBSI)
Lors de la pandémie de COVID-19, le gouvernement québécois a diffusé ses points de presse sur les médias traditionnels comme la télévision et la radio, mais aussi sur des médias sociaux comme Facebook et Instagram. Cette décision a été judicieuse, car selon une étude de NETendances, 33% des adultes québécois utilisent les réseaux sociaux comme principale source d’information (une proportion qui atteint 50% chez les 25-34 et 67% chez les 18-24 ans). L’avancée des nouveaux médias au sein de l’industrie de l’information est telle que même les politiciens, réputés pour leur décorum et leur traditionalisme politique marqué, doivent aussi suivre cette vague qui constitue un véritable mouvement social du XXIe siècle.
Impact des réseaux sociaux sur la politique : avantages et défis d’un virage numérique
Les avantages des réseaux sociaux pour la politique sont multiples : ils représentent tout d’abord un excellent moyen de communiquer avec les électeurs. Peu importe la ou les plateforme(s) utilisée(s), les réseaux sociaux incarnent une façon efficace de garder le public au courant des décisions gouvernementales et de communiquer plus personnellement avec la population. Cela permet aux politiciens, aux ministères ou autres agences gouvernementales de bâtir une confiance et un sentiment de proximité avec le public. Les médias numériques comme Facebook ou Twitter permettent aussi à n’importe quel citoyen ayant un accès Internet de diffuser ses idées et de communiquer directement avec les figures politiques de son choix. L’exemple de la députée du Congrès américain Alexandra Ocasio-Cortez est d’ailleurs frappant : à coups de tweet, de rencontres en direct et de présentation de sa plateforme politique, son nombre d’abonnés Twitter a augmenté de 600% en seulement huit mois. Par la suite, les réseaux sociaux sont aussi une excellente manière de lancer des campagnes et de faire connaître des initiatives et plateformes politiques à la population. Certaines figures politiques québécoises comme Gabriel Nadeau-Dubois ont été particulièrement actives sur Facebook pour promouvoir leurs idées et discuter d’enjeux sociaux comme l’immigration au Québec. Finalement, tout comme nos premières lignes l’indiquent, les réseaux sociaux constituent un outil essentiel de communication en cas de crise.
Cependant, l’utilisation des réseaux sociaux dans le monde politique s’avère plus délicate que ce qui avait été imaginé à l’origine. En effet, des questions portant sur l’éthique de l’utilisation de ces plateformes font leur apparition, par exemple : comment les figures politiques, censées représenter leurs électeurs, devraient-elles user de ces outils ? Plusieurs risques sont possibles : la vie privée des politiciens et politiciennes peut être grandement affectée par une présence publique sur les réseaux sociaux. Si certaines de ces situations sont sans grandes conséquences (on peut par exemple penser au mème de Bernie Sanders qui a fait le tour du web.),
, d’autres sont plus graves, notamment avec des menaces de mort ou diverses insultes. Le type d’utilisation des réseaux sociaux par les gouvernements peut aussi être inquiétant : certains redoutent même l’espionnage en parlant d’États-espions. D’autres se posent des questions sur la façon dont leurs données sont utilisées par l’État ou encore sur la manière dont l’État devrait réguler certains contenus comme le terrorisme et l’incitation à la haine et à la violence qui ont trouvé une terre d’accueil sur les réseaux sociaux.
Dans un rapport de la firme WPP intitulé The future of government communication, la communication s’avère être le plus grand défi du gouvernement au XXIe siècle par rapport à l’utilisation de plateformes numériques et plus particulièrement vis-à-vis des réseaux sociaux. Ce rapport s’articule autour de cinq problématiques distinctes : le lien de confiance entre les citoyens et les politiciens, l’adaptation des gouvernements à diffuser un message en fonction de leur auditoire, la capacité de dialogue qu’offrent les réseaux sociaux, la conscientisation de l’utilité des réseaux sociaux au sein des groupes politiques et la compréhension de l’influence que peuvent avoir ces plateformes ainsi que ses messages sur la population.
Fake news
Bien que les réseaux sociaux représentent un excellent outil pour maintenir un lien de proximité avec la population, ces plateformes sont aussi à double tranchant et peuvent représenter un réel danger. En effet, certains gouvernements ont conscience de l’influence que peuvent avoir les réseaux sociaux et tirent avantage des lacunes de ces plateformes numériques. En 2011, Eli Pariser, entrepreneur ayant participé à l’organisation de la campagne de Barack Obama en 2008, présente la théorie de la “bulle de filtre” selon laquelle par la faute des algorithmes qui sont à la base du fonctionnement des réseaux sociaux, les utilisateurs de ces plateformes sont enfermés dans une bulle où leur est seulement présentée l’information qui les intéresse. Cette personnalisation peut paraître anodine et même positive, mais prenons l’exemple de l’utilisation du réseau social Twitter par Donald Trump, ancien président des États-Unis (2017-2021). Une étude réalisée par CNBC a révélé que les messages de sa part ayant été les plus retweetés contiennent des informations mensongères et incitent à la méfiance envers les médias et la société. L’exemple le plus concret de ces publications à saveur de fake news est celui où l’ex-président se proclamait vainqueur des élections de 2020. Le danger d’une telle utilisation des réseaux sociaux réside dans le fait que les fake news, comme toute autre information sur ces plateformes, se propagent rapidement et peuvent rapidement dégénérer comme en atteste l’attaque du Capitole à Washington le 6 janvier 2021 par des partisans de Donald Trump. En raison de l’effet de bulle, ces feux ont du mal à s’éteindre, car l’opinion qu’ils contiennent est radicalisée par les utilisateurs qui supportent ces idées et continuent de les partager. Dans une démocratie, les citoyens devraient avoir la possibilité de recevoir des informations de toutes sortes afin d’aiguiser leur sens critique. Dans cet exemple, les utilisateurs ne peuvent distinguer le vrai du faux, car l’effet de bulle fait en sorte qu’ils sont constamment bombardés de messages frauduleux.
Que faire pour contrer la désinformation ?
Ce n’est que depuis 2016-2017 que l’on se penche plus longuement sur la question de la désinformation sur les réseaux sociaux. Il a ainsi été démontré que la Russie a diffusé à grande échelle des messages donnant une image négative à des pays étiquetés ennemis comme la Géorgie ou l’Ukraine grâce à de faux comptes contrôlés par des bots informatiques sillonnant le web. Inversement, le Kremlin a aussi propagé des informations qui favorisaient les acteurs politiques en accord avec son idéologie : ce fut notamment le cas du soutien de Vladimir Poutine à la campagne de Donald Trump en 2016. Depuis, la vague qui s’affale sur le monde des technologies de l’information ne cesse de prendre de l’ampleur. Pendant les pires moments de la pandémie de COVID-19, une propagation massive d’informations virulentes sur le vaccin a joué contre la crédibilité de ceux-ci, ainsi que sur celle des gouvernements qui ont encouragé cette solution contre la maladie.
Initiatives pour distinguer le vrai du faux
En juillet 2022, 2,4 millions de dollars ont été octroyés pour des projets qui seront réalisés dans le cadre de l’Initiative de citoyenneté numérique de Patrimoine canadien. Ces projets visent à “renforcer la résilience des citoyens face à la désinformation en ligne”. En tout, 11 projets appuyés par une communauté de chercheurs et quelques organisations ont été retenus et financés pour aider les citoyens à distinguer la réalité de la fiction et à armer la population de faits. Aux États-Unis, le problème de la désinformation est encore plus virulent et devrait être mieux encadré par le gouvernement sur les réseaux sociaux : c’est du moins le consensus du Congrès en 2018 après l’audience de Mark Zuckerberg, président et fondateur de Facebook. Certaines initiatives privées voient aussi le jour parmi les plateformes numériques dans l’optique de réguler les contenus problématiques : c’est notamment le cas de l’ajout d’étiquettes aux pages satiriques, aux représentants gouvernementaux et aux pages de fans sur Facebook. Bien que ce système soit encore loin d’être parfait, les utilisateurs peuvent mieux identifier les contenus pouvant mener à la désinformation.
Pistes de réflexion
Difficile à ce jour de se positionner sur l’efficacité des réseaux sociaux dans la sphère politique. Leur popularité en font de véritables atouts pour les États, mais encore faut-il qu’ils soient utilisés à bon escient ! Les dernières années nous ont démontré la vitesse impressionnante à laquelle une information peut être partagée. Certains événements initiés ou non initiés par un gouvernement peuvent rapidement prendre de l’ampleur et représenter un danger pour la démocratie. La vague d’optimisme et la mobilisation des utilisateurs du début des années 2000 envers les réseaux sociaux a laissé place à un morcellement des citoyens en bulles organisées par des filtres. À une époque où la culture numérique est en pleine effervescence, serait-il temps de se questionner sur notre rapport vis-à-vis des plateformes digitales comme les réseaux sociaux? Devrait-on sensibiliser la population à une “citoyenneté numérique”?
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
cecilem (21 novembre 2022). Les réseaux sociaux, nouveaux partenaires des Etats pour la vie politique ? Économie du document. Consulté le 6 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/beaa