Des amendes et après ? Quelles suites pour les procès intentés aux géants de la tech ?

Billet de blogue proposé par Boris Pahnke (HEG), Eve Sigouin-Morency (EBSI) et Alexandre Trépanier (EBSI)

En septembre 2022, la filiale du groupe Meta, Instagram a été mise à l’amende pour 405 millions d’euros à la suite d’un manquement dans le traitement des données des mineurs. En 2021, Amazon s’est vu infliger une amende de 746 millions d’euros pour le non-respect du RGPD (règlement général sur la protection des données) par le Luxembourg. Depuis 2018, Google a été sanctionné pour un total de 8 milliards d’euros par l’Union européenne dans trois dossiers antitrust.

Pourquoi ces entreprises se voient-elles imposer des amendes aussi faramineuses ?

Qui sont ces géants des technologies qui peuvent se permettre des amendes aussi salées ?

On surnomme ces géants du Web les GAFAM (Google [Alphabet] – Apple – Facebook [Meta] –Amazon – Microsoft) et ils dominent le marché numérique depuis plusieurs années. Au fil des années, ces compagnies ont su diversifier leurs secteurs d’activités pour devenir des acteurs principaux dans le domaine des technologies.

Google appuie ses revenus en grande partie sur son moteur de recherche homonyme et sur sa plateforme de vidéos en ligne YouTube. Les revenus de publicité sont vraiment la pierre angulaire du chiffre d’affaires d’Alphabet, qui s’est élevé à 514 milliards de dollars en 2021. On retrouve aussi un segment cloud computing chez le conglomérat, mais cette activité reste déficitaire à ce jour.

Apple, créée en 1976, est une compagnie américaine qui crée et commercialise des produits électroniques grand public. L’iPhone reste le produit principal d’Apple avec plus de la moitié du chiffre d’affaires qui s’élevait à près de 366 milliards de dollars en 2021. On retrouve d’autres produits comme les logiciels et les services tels qu’iTunes et Apple TV qui ont généré 20 % des ventes en 2021. Apple peut aussi compter sur ses produits secondaires comme l’Apple Watch et les AirPods pour faire augmenter son chiffre d’affaires.

Facebook a engendré un chiffre d’affaires de près de 118 milliards de dollars en 2021. Contrairement aux autres, cette compagnie créée en 2004 concentre ses activités sur l’exploitation de plateformes de réseaux sociaux, de messagerie et de partages de photos et de vidéos, comme Messenger, Instagram et WhatsApp.

Amazon, qui a démarré en 1994, avait pour objectif la vente de livres en ligne. Au fil des années, la compagnie a grossi et a commencé à offrir d’autres items en ligne. Avec un chiffre d’affaires de plus de 469 milliards de dollars en 2021, Amazon est l’acteur principal du commerce en ligne. Les principales sources de revenus d’Amazon en 2021 étaient Amazon WS, une gamme de services d’infrastructure informatique Web, Amazon Prime et Amazon publicité. Ils ont aussi des revenus provenant des services de magasins tiers et de magasins physiques d’Amazon.

Microsoft, pour qui l’activité principale lors de sa création en 1975 consistait à développer et vendre des systèmes d’exploitation, des logiciels et des produits matériels dérivés, a vu ses profits exploser en 2021 avec un chiffre d’affaires de près de 168 milliards de dollars. Microsoft obtient sa place auprès des géants de la technologie grâce à des services comme Microsoft Azure, la première source de revenus de la compagnie, et des produits comme la suite Office, LinkedIn, la console XBox et le système d’exploitation Windows. 

Que reproche-t-on aux GAFAM?

Les différents procès intentés contre les géants du numérique sont principalement liés à trois enjeux : la protection des données et des renseignements personnels des utilisateurs, la fiscalité et la concurrence. D’ailleurs, après avoir légiféré sur la question des données et des renseignements personnels, le nouveau cheval de bataille de l’Union européenne est la mise en place d’une saine concurrence au sein du marché numérique, comme l’illustrent les derniers développements juridiques et législatifs. Parmi les GAFAM, c’est Google qui est l’entreprise la plus directement touchée par ces accusations de pratiques anticoncurrentielles.

En 2018, le Tribunal de l’Union européenne a imposé une amende record à Google pour « abus de position dominante de son système d’exploitation Android ». L’amende initialement imposée était de 4,3 milliards d’euros. Bien entendu, cette décision a été contestée par Google, mais le Tribunal a officiellement maintenu sa décision le 14 septembre 2022, bien que l’amende fut réduite à 4,1 milliards d’euros. Si les montants semblent faramineux, c’est parce qu’ils sont basés sur les revenus tout autant démesurés de l’entreprise visée.

Les pratiques anticoncurrentielles reprochées à Google incluent notamment l’utilisation de leur influence et de paiements illégaux afin de faire préinstaller leurs applications sur les appareils conçus par les manufacturiers de grande importance, les restrictions imposées aux fabricants voulant utiliser des versions d’Android non approuvées par Google et l’imposition de conditions aux fabricants de téléphones intelligents et de tablettes souhaitant offrir un accès au Play Store, le magasin d’applications de Google. Parmi ces conditions, l’obligation de préinstaller l’application Google Search et le navigateur Web Google Chrome sont au cœur des pratiques anticoncurrentielles critiquées par Margrethe Vestager, Commissaire européenne à la Concurrence. Cette dernière est d’avis que malgré le fait qu’il est possible d’installer d’autres moteurs de recherche et d’autres navigateurs Web sur les téléphones utilisant Android, seulement 1% des utilisateurs installent un moteur de recherche différent et 10% d’entre eux se tournent vers un autre navigateur.

La réponse de Google est simple : « Android a créé plus de choix, pas moins », c’est du moins ce que pense le CEO de Google Sundar Pichai.

En réponse aux accusations, Google se défend en soulignant qu’il est très facile d’utiliser d’autres applications et que leurs pratiques permettent aux utilisateurs de jouir d’une vaste gamme d’appareils tout en permettant aux manufacturiers de téléphones intelligents et aux développeurs d’applications de bénéficier de la position de force d’Android. Sundar Pichai estime aussi que l’Union européenne n’a pas complètement saisi la dynamique concurrentielle du marché des appareils mobiles alors qu’Android entre directement en compétition avec iOS, le système d’exploitation d’Apple.

Les luttes juridiques impliquant Google occupent une place majeure dans l’actualité récente, mais l’Union européenne s’inquiète aussi des pratiques anticoncurrentielles des autres géants du Web. Microsoft a été mis à l’amende en 2013 pour avoir imposé Explorer, son navigateur Web, et Amazon, Apple et Facebook sont aussi sous enquête pour des pratiques anticoncurrentielles.

Au-delà des amendes

On voit à quel point les procédures juridiques sont complexes, lentes, et mettent du temps à produire des effets sur le terrain. Il est difficile de mener à bien ces procédures juridiques en l’absence d’une législation claire et sur mesure. Par ailleurs, il est pertinent de se questionner sur le caractère dissuasif des amendes imposées dans le contexte actuel.

Pour pallier ce problème, la solution envisagée par l’Union européenne est la mise en place d’un cadre législatif qui permettrait de réguler les marchés numériques. C’est ainsi que le 15 décembre 2020, elle a présenté deux nouvelles lois qui ont pour but de lutter contre leur position dominante : la Digital Markets Act (DMA) et la Digital Services Act (DSA). Le rôle de la première consiste à réguler le marché du numérique et permettre une concurrence plus juste et plus équilibrée. Il y est également question de stimuler l’innovation et de proposer une plus grande liberté de choix aux consommateurs européens. La DSA, quant à elle, vise une meilleure protection des internautes sur les réseaux. Désormais, les fournisseurs de plateformes et moteurs de recherches deviennent responsables des contenus qu’ils autorisent à la publication; ils ont un devoir de contrôle de la légalité des contenus, de transparence envers les utilisateurs et de coopération permanente et de gestion de crises avec les États. L’entrée en vigueur de ces lois est prévue pour 2023 : le 2 mai 2023 pour la DMA et progressivement pour la DSA jusqu’à sa pleine application en février 2024 (d’abord, seuls les géants seront touchés; ensuite, la loi s’appliquera à toutes les plateformes).  Attention toutefois à leur application; en confiant la compétence unique à la Commission européenne tout en excluant les États membres de la procédure, les problèmes de lenteurs et d’arbitraire qui étaient liés au RGPD (règlement général de la protection des données personnelles) risquent de refaire surface. Un meilleur partage des compétences pourrait donc être bénéfique. De plus, il va falloir veiller à une application stricte des lois, ce qui demande des ressources élevées en personnel. Enfin, il s’agira de veiller à l’effet dissuasif du montant des amendes ce qui pour l’instant n’a pas été démontré.

L’Union européenne n’est pas la seule à légiférer en la matière. À titre d’exemple, du côté du Royaume-Uni, qui est récemment sorti de l’Union européenne, la Digital Markets Unit (DMU) a vu le jour. Cette unité fait partie de la Competition and Markets Authority (CMA). Elle peut sanctionner les entreprises par des amendes allant jusqu’à 10% de leur chiffre d’affaires mondial et interdire les acquisitions qui ne respectent pas la libre concurrence.

La coexistence d’initiatives internationales et nationales illustre la complexité de réguler les marchés numériques qui s’étendent à l’échelle mondiale. S’il semble apparent qu’une approche législative s’impose, le succès de telles mesures régulatoires dépend de la possibilité de les mettre en application. Il s’agit là d’un défi colossal, surtout dans un contexte où les GAFAM n’hésitent pas à utiliser le lobbying pour freiner ces initiatives.

cecilem

More Posts